Super Basse Def est en vente ici !

Je suis vraiment content de voir cette BD enfin sortir. J’ai passé tellement de temps dessus, à l’écrire, la dessiner, la retoucher, faire les bonus, que je suis soulagé que ce soit terminé. Et pour être tout à fait honnête avec vous, il se peut que Super Basse Def soit la dernière BD que je publie.

Je me dois faire ce triste constat car les conditions actuelles ne sont pas réunies pour que je fasse de la BD de façon sereine. Dans ma jeunesse, on m’avait parlé de ce fameux triangle dont les sommets représentent la qualité, le temps et le prix, et du fait qu’il est impossible de réunir ces trois conditions en même temps, à savoir faire un travail de qualité, rapide et pas cher. Au mieux, il ne peut y avoir que deux de ces conditions réunies, systématiquement au détriment de la troisième. Par exemple, un travail de qualité et rapide sera forcément cher, ou encore un travail peu cher et rapide ne sera pas de qualité. C’est en suivant ces règles que je me représente le monde du travail. Malheureusement, cela ne s’applique pas à la réalisation de BD, où il n’y a souvent qu’un seul sommet qui soit atteignable, et encore.

La première fois que je m’y suis confronté, c’est avec le deuxième tome de Sans emploi. J’avais essayé de négocier de meilleures conditions que pour le tome 1, à savoir un meilleur à-valoir (4000 euros pour le tome 1) ou un meilleur pourcentage sur le prix de vente (8%). Pour faire un travail de qualité, j’essayais d’améliorer le prix. Tout ce que j’ai eu en retour, c’est d’avoir eu plus de temps, pour le même prix. Donc une somme d’argent encore plus diluée dans le temps. Et j’ai quand même réussi à être en retard sur ce planning, mobilisant des amis pour faire quelques couleurs que je n’avais pas le temps de faire. Et je ne touchais rien de plus, faute de ventes suffisantes, pour tout un tas de raisons sur lesquelles je ne souhaite pas revenir aujourd’hui.

A bien y repenser, ça a même débuté avec le premier tome. La somme de travail était telle que c’était incompatible avec mon travail en CDI de 35h/semaine à l’époque, ce qui me poussa entre autres choses à me mettre à mon compte. Pour toucher 4000 euros (avant les taxes, la TVA, les cotisations et les impôts) pour dessiner 300 strips. Heureusement que j’avais d’autre boulots en parallèle, car je serais mort de faim depuis longtemps.

Ces conditions de travail ne se sont pas améliorées depuis. Je ne m’en formalisais pas jusqu’à présent, car je considérais la BD comme étant un à-côté, un passe-temps qui pourrait parfois déboucher sur un livre ou deux. Malheureusement je dois bien me rendre compte que le delta entre mon investissement personnel en terme de temps et de travail s’éloigne dangereusement d’une quelconque forme de rentabilité, à un point où ça en devient absurde. Je touche avec Super Basse Def autant qu’avec une commande classique d’un client qui ne me réclame même pas une dizaine de jours de boulot.

La faute à qui ? Tout d’abord à moi. Je ne devrais pas accepter ce genre de conditions de travail, mais je me suis promis dès le départ de Super Basse Def de terminer ce projet proprement, comme je l’avais envisagé. Ce n’est pas la faute de l’éditeur : je connais ses conditions à l’avance, rien ne m’a été caché, je connais aussi sa situation et sa taille, on n’est pas chez Hachette ou Gallimard. Mais voilà où j’en suis : je ne peux plus faire de BD, et Super Basse Def est probablement ma dernière. Ceci explique aussi le fait que j’ai passé plus de quatre ans à la dessiner : n’étant pas une activité rentable, elle passait systématiquement derrière tous mes autres projets en cours. Il se passait parfois des mois avant que je ne retouche à la BD, faute de temps ou d’argent. Dans de meilleures conditions, Super Basse Def aurait plu être bouclé en cinq ou six mois, voire moins.

L’impact de ce retard n’a pas été que négatif : j’ai pu prendre du recul et retoucher quelques aspects qui en avait besoin. Mais maintenant mon calcul est rapide : j’ai 37 ans, et à raison de 5 ans par projet BD, je ne peux plus raconter que 5 ou 6 histoires. Et ça me terrifie. J’ai des envies de BD, des récits qui ne demandent qu’à sortir, et je sais que je ne pourrais pas les concrétiser.
Mon cas ne fait que recouper l’état du monde de l’édition qui se paupérise à vitesse grand V. Pour suivre un peu l’actualité de la Ligue des Auteurs Professionnels, j’observe que ce constat est largement partagé. Je me considère comme chanceux, car j’ai une activité de graphiste qui me permet de faire bouillir la marmite, mais même cette activité est maintenant menacée par les réformes fiscales du gouvernement. J’ai peur pour mon avenir professionnel.

Plus je réfléchis à ça, et plus je me dis que j’ai une responsabilité en tant qu’auteur concernant ce que je souhaite publier. Tout n’est pas publiable et c’est faire preuve d’un Ego gonflé à bloc que de considérer que toute sa production mérite de devenir un livre. Je ne suis pas sûr que Super Basse Def mérite d’être un livre. Mais là encore, on assiste à un transfert de compétence des éditeurs vers les auteurs-trices… C’est insoluble.

Du coup on fait quoi ? On torche des bouquins mal fichus, on enchaine les BD de merde pondues en quelques mois pour pouvoir à temps payer ses factures du mois ? Ce n’est même pas la faute de l’auteur-trice, qui souhaite sûrement bien faire. Le directeur d’une école de BD en parlait l’an dernier : pour lui, ce ne sont pas les meilleurs qui perceront en BD, mais ceux qui travaillent le plus vite (et le mieux, si possible). C’est une véritable fuite en avant, une forme de productivisme qui touche à ce domaine artistique. Vous en avez forcément fait le constat vous-même, avec de plus en plus de titres qui sortent en librairie, mais de moins en moins de titres majeurs. C’est ainsi que le monde de l’édition raisonne désormais : la quantité avant tout. Ca coûte rien de faire faire une BD à un auteur, et sur les 20 p’tits jeunes que tu lances dans le bain avec une avance de misère, y’en aura peut-être un qui fera un carton. Investissement et prise de risque minimal. A qui profite le crime ?

Alors que faire ? Si je compte continuer à faire des livres, c’est simple : il faut acheter Super Basse Def. En nombre, de sorte à ce que le premier tirage de 2000 exemplaires (et sur lesquels j’ai déjà touché mon pourcentage, à savoir 8% du prix hors taxe, faites le calcul) soit épuisé puis réédité. Ce sera à ce moment là que je retoucherai de l’argent. A chaque réédition. C’est improbable, mais bon, l’espoir, tout ça… Et tant qu’à faire, achetez-le directement en circuit court, sur le site de l’éditeur.
Si vous n’avez pas d’argent, vous pouvez aider en partageant ce genre de publication, en parlant sur les réseaux sociaux, en « faisant de la pub », qui sait, cela pourrait toucher un public plus large et retomber sur la solution n°1.

De mon côté, je compte bien défendre cette BD, en me déplaçant en séance de dédicace, en organisant des événements, etc. Encore un investissement en temps de ma part, du temps pris sur mes weekends, sur mon temps libre en famille, qui ne sera pas rémunéré. Mais je pense que cela en vaut la peine, en tout cas quelques temps. Je vais essayer de pousser au mieux et je ferai un petit bilan à la rentrée de septembre. Je vous tiendrai informés.
Voilà, tout ceci est un poil déprimant à écrire, mais je me dois d’être honnête avec vous sur les coulisses de la réalisation d’une BD, pour que vous puissiez vous en rendre compte. Si je dois arrêter de publier de la BD, j’en serai triste mais ça ne sera pas la fin du monde. En attendant, j’ai Super Basse Def à défendre et présenter, et pour cela je vais prépublier la BD sur mon blog à partir de demain !