M. Toriyama, votre disparition le 1er mars 2024 attriste une génération entière. Vous avez marqué au fer rouge la pop culture de votre époque, grâce à votre sens du design et de la mise en scène, inspirant des millions de jeunes personnes à travers le monde. Aucun artiste de cette génération ne peut ignorer votre œuvre : on s’en revendique ouvertement ou on s’en éloigne volontairement, le repère reste inévitable. Combien de carrières artistiques avez vous inspiré ? Combien de kaméhaméha ont été mimés devant le miroir de la salle de bains ? Combien de discussions enflammées avez-vous provoqué dans les cours d’école, puis plus tard sur internet, avec Dragon Ball, votre Magnum Opus ? Votre impact sur l’inconscient collectif est massif et laissera durablement son empreinte, indépendamment des cultures, des langues ou des pays.

Bien sûr, vous n’étiez pas seul aux commandes de vos œuvres, aidé de vos éditeurs successifs. Bien sûr, votre œuvre purement récréative manquait un peu de fond et de substance. Mais votre génie est ailleurs : dans le design minutieux des véhicules, fruit de votre passion pour la mécanique. Dans la mise en scène des scènes d’action, inspirée de vos nombreux visionnages du cinéma de Jackie Chan. Dans la virtuosité de votre Chara Design, identifiable au premier coup d’œil, et dont le manga et le jeu vidéo japonais ont pu profiter.

A titre personnel, votre œuvre s’est imposée à moi, comme à beaucoup d’autres, au début de l’adolescence, et me suivra longtemps pendant mes années formatives de découverte du dessin et de la bande dessinée. J’ai forgé mon art en partie en reproduisant vos dessins, qui occupaient déjà tout l’espace visuel qui s’offrait à un jeune garçon de treize ans à l’époque, que ce soit à la télévision, dans les magazines ou dans les librairies. Je garde en souvenir ce petit tome de Dragon Ball acheté chez un marchand de journaux et qui m’accompagnera durant tout un été, unique lecture disponible, dévoré jusqu’à plus soif. Et je vous remercie pour votre petit recueil intitulé « l’apprenti mangaka », qui me guidera sur la voie de la bande dessinée et m’incitera à prendre cet art un peu plus au sérieux, malgré vos conseils un peu désordonnés.

Personne n’est parfait, et vous n’en faites pas exception. Je me souviens de la citation de votre nom dans l’affaire des Panama Papers, où était listés une myriade de notables pratiquant l’évasion fiscale. Qui sait ce que l’on découvrira sur vous dans les années à venir, vous qui viviez paisiblement en retrait de la vie citadine, des média et de la furie du succès mondial. Je m’interroge sur votre disparition prématurée à 68 ans, en me rappelant que l’industrie du manga au Japon a la coutume de broyer ses employés sous d’inhumaines contraintes de productivité dont vous aviez partiellement réussi à vous extraire. Les dernières années d’exploitation de Dragon Ball vous laisseront lessivé et dégoûté du métier, et vous ne vous en êtes jamais véritablement remis.

Merci pour tout, M. Toriyama. Votre œuvre vous survivra.